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Immigrer et travailler à Montréal : dois-je parler anglais?

Plusieurs gratte-ciel de la ville de Montréal la nuit

Au cours des dernières années, les enjeux soulevés par la survie de la langue française au Québec ont fait couler beaucoup d’encre. Quiconque habite ici depuis quelque temps pourra vous le confirmer : on entend sans cesse parler de l’anglicisation de Montréal et de son marché du travail. Au Québec, la langue française revêt un aspect à la fois identitaire, culturel et politique.

La place de l’anglais à Montréal

Selon une étude de l’Office québécois de la langue française parue en 2021 (lien), sur l’Île de Montréal, environ 65% des travailleurs et travailleuses utilisent régulièrement l’anglais au travail, cette proportion est de 51% dans la couronne de Montréal et de 38% dans le reste du Québec.

Ainsi, à Montréal la pression pour parler anglais au travail est assez forte, comme l’a récemment exposé un article de Radio-Canada (lien). Les entreprises sont nombreuses à avoir comme critère d’embauche la maîtrise de l’anglais oral et écrit.

Mais d’autre part, l’usage du français est prôné fortement par le gouvernement du Québec, notamment par l’application de la Charte de la langue française (voir plus loin dans le texte) et une frange de la population.

Les personnes immigrantes qui arrivent à Montréal pour y décrocher un emploi se retrouvent bien souvent entre l’arbre et l’écorce. Dois-je apprendre le français ou l’anglais? Dois-je maîtriser les deux langues? Quelle langue devrais-je maîtriser si je souhaite «réussir» mon intégration et/ou ma carrière?

Deux hommes et deux femmes discutent ensemble à table

Le dilemme de la langue à Montréal

J’ai discuté de cette question de la langue au Québec avec Carlos J. Gomez, un immigrant colombien devenu éventuellement citoyen canadien, qui a consolidé une carrière de plusieurs années en marketing à Montréal.

Avant d’immigrer au Canada pour y réaliser des études universitaires en français, Carlos possédait certaines bases en français et il maîtrisait parfaitement l’anglais. Il a vécu à Sherbrooke le temps de finaliser ses études, où il dit avoir travaillé fort pour parfaire sa connaissance du français.

À ce moment de son parcours d’immigration, Carlos avait la perception que tout se passait en français au Québec. Tout était en français autour de lui : la langue parlée par la population, les communications officielles, les affiches publiques et les noms d’entreprise, la radio et les chaînes de télévision (Radio-Canada, TVA, Télé-Québec, etc.).

Mais tout a basculé à son arrivée à Montréal pour y travailler...

Un dépaysement linguistique total : le franglais

Une fois à Montréal, Carlos s’est vite rendu compte que l’anglais côtoyait régulièrement le français, voire que les deux langues se mélangeaient dans une même conversation. C’était la première fois de sa vie qu’il rencontrait ce phénomène linguistique dans une grande métropole, lui qui a d’ailleurs beaucoup voyagé au cours de sa vie.

«Quand tu arrives à Montréal, c'est tellement bizarre ce bilinguisme d'une personne qui te parle en français et en anglais dans une même phrase. Et tu te dis : comment je vais faire pour m'adapter à ça? Pour moi, l'anglais c'est l'anglais, le français c'est le français. Comment vais-je faire pour mélanger les deux langues, pour parler le franglais montréalais? Je viens d'un pays où on parle une langue à la fois, on les mélange pas.»
-Carlos J. Gomez, spécialiste en marketing

Carlos décroche finalement son premier emploi dans une entreprise internationale où tout se faisait presque qu’exclusivement en anglais. Le choc linguistique est total.

L’anglais au travail, le choc de la réalité

Au Québec, toutes les communications officielles avec le gouvernement, ainsi que tout le processus d’immigration, ça se passe généralement en français. Carlos me dit avoir eu l’impression qu’on lui avait promis implicitement que tout se passe en français au Québec.

On ne l’avait jamais préparé à une telle présence de l’anglais sur le marché du travail. « C’est là que tu te dis : c’est une chose ce que le gouvernement te dit et c’est vraiment autre chose ce que tu trouves sur le marché du travail », finit-il par me confier. Il aurait aimé qu’on lui parle bien plus tôt dans son parcours d’immigration de cette réalité anglophone du marché du travail québécois.

«Dans les meetings, parfois c’est tout mélangé entre le français et l’anglais. Tu parles en français et on te répond en anglais. C’est un autre choc. Jamais on te parle de ça dans le processus d’immigration.» -Carlos J. Gomez, spécialiste en marketing

Il se sent aussi trahi par cette promesse implicite. Un peu amer aussi d’avoir eu à mettre autant de temps et d’énergie à apprendre une troisième langue, le français.

«Je me suis forcé à apprendre le français, à faire ma maîtrise en français, j'ai «souffert» une année. Finalement je commence à travailler et tout est en anglais. Le français c'était le minimum. Je le parlais surtout avec quelques collègues et avec des clients francophones. Ce fut tout un choc pour moi de voir l'influence de l'anglais sur le marché du travail.»
-Carlos J. Gomez, spécialiste en marketing
Un homme en complet réalise une conférence devant un public

Le français, une langue de second usage en emploi?

Au cours des différents emplois qu’il a occupés à Montréal, Carlos se dit étonné d’avoir côtoyé des collègues d’origine montréalaise, c’est-à-dire des personnes nées dans cette ville et y ayant grandi, qui ne connaissaient aucunement le français. Carlos raconte cette anecdote qui l’a marqué : «j’avais un collègue fier d’avoir fait sa présentation en français, pourtant il est né et a habité à Montréal toute sa vie. Tu es né ici, tu devrais être capable de parler français plus naturellement.»

Le français est-il finalement une langue de second usage, a-t-il commencé à se demander, en quelque sorte inférieure à l’anglais dans le monde du travail et des affaires? C’est ce qu’il réalise aujourd’hui. Et selon son expérience, ce serait ce que pensent aussi d’autres immigrants.

«J'ai rencontré d'autres immigrants qui parlaient très bien anglais et qui ne voulaient pas sortir de leur zone de confort. Ils regardaient le français comme une étape extra qu'il faut faire pour satisfaire le gouvernement, mais pas comme un atout sur le marché du travail.»
-Carlos J. Gomez, spécialiste en marketing

Sans trop s’en rendre compte, Carlos est lui-même entré dans sa zone de confort, en favorisant l’anglais au quotidien au travail, une langue qu’il maîtrise davantage que le français. Il trouve cette situation déplorable, car ce sont ses compétences en français qui ont le plus souffert de cette situation.

Carlos affirme malgré tout que sa connaissance du français lui a permis de bien progresser dans sa carrière, puisqu’il devenait une ressource indispensable pour ses employeurs, qui ne pouvaient pas toujours compter sur des employés pouvant maîtriser à la fois l’anglais et le français.

Même si le portrait semble peu reluisant pour le français en milieu de travail à Montréal, il est important de rappeler qu’il s’agit de l’expérience d’une seule personne et que cela ne constitue pas l’ensemble des emplois de Montréal. Dépendamment des domaines d’emploi, mais aussi du niveau de scolarité requis, l’usage de l’anglais est plus ou moins important.

Lorsque j’ai demandé à Carlos s’il connaissait ses droits au travail concernant l’usage du français, j’ai été surpris d’apprendre qu’il n’en avait jamais entendu parler. Ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’il ne connaissait aucune réglementation en général sur les droits et devoirs des travailleurs au Québec, ni au Canada. «Quand vous émigrez au Canada, personne ne vous le dit», déplore-t-il.

Pour mieux vous informer sur le sujet, j’ai donc décidé de vous présenter les droits qu’accorde la Charte de la langue française sur le marché du travail québécois.

Dans le futur, j’écrirai d’autres articles sur les droits des travailleurs et travailleuses au Québec et au Canada.

Le droit de travailler en français au Québec

La Charte de la langue française (loi 101), adoptée au Québec le 26 août 1977, garantit, entre autres choses, le droit aux travailleurs et travailleuses qui travaillent dans une entreprise établie au Québec d’y exercer leurs activités en français au Québec. Pour les amoureux du droit, voici la Charte en question.

Qu’est-ce que ça signifie concrètement le droit de travailler en français?

Les entreprises établies au Québec doivent par exemple permettre l’usage du français en milieu de travail et communiquer en français avec leurs employés. Voici quelques exemples concrets tirés du site du Conseil supérieur de la langue française du Québec :

  • Informer, service clientèle, accueil, téléphone, personne, documents qui accompagnent les produits
  • S’assurer que les membres du personnel et les cadres connaissent le français et puissent échanger en français au travail;
  • L’affichage interne doit inclure le français de façon au moins équivalente à celle d’une autre langue utilisée au travail, comme l’anglais. Il s’agit autant des affiches, des avis sur les babillards, des écriteaux. etc.;
  • Les échanges entre collègues devraient pouvoir se faire en français, tout comme les directives officielles de l’entreprise (avis, notes de service, bulletins d’entreprise, courriels) devraient inclure le français;
  • Les documents de travail et le matériel informatique utilisés régulièrement doivent être en français;
  • informer, service clientèle, accueil, téléphone, personne, documents qui accompagnent les produits.
Deux femmes et un homme boivent du jus lors d'un 5 à 7

Processus de francisation obligatoire pour les entreprises

Il faut aussi savoir que les entreprises de 50 employés ou plus sont assujetties à un encadrement plus rigoureux de la Charte de la langue française.

«Afin d'assurer la généralisation du français dans tous les milieux de travail, la Charte de la langue française a prévu des mesures particulières pour les entreprises qui emploient 50 personnes ou plus au Québec. Celles-ci doivent s'engager dans une démarche visant à assurer qu'elles se conforment à la loi et que l'usage du français y est généralisé.»
-Tiré du site du Conseil supérieur de la langue française du Québec (lien)

Ces entreprises doivent se soumettre à un processus de francisation obligatoire. En outre, les entreprises de 100 employés ou plus doivent constituer un comité de francisation dont le rôle est d’analyser la situation linguistique du milieu de travail.

Voici une synthèse de la démarche de francisation à suivre. Toutes les étapes détaillées se trouvent ici (lien) :

  • Inscription à l’Office québécois de la langue française;
  • Analyse de la situation linguistique par l’entreprise;
  • Préparation d’un programme de francisation détaillé à soumettre à l’Office;
  • Approbation du programme de francisation;
  • Mise en oeuvre du programme de francisation et rédaction annuelle d’un rapport sur l’avancement de la francisation au sein de l’entreprise;
  • Remise d’un certificat de francisation lorsque l’Office estime que l’entreprise se conforme aux objectifs de la Charte de la langue française;
  • Permanence de la francisation.

Quelles entreprises ne sont pas soumises à la Charte de la langue française?

À l’heure actuelle, les entreprises de compétence fédérale qui réalisent leurs activités au Québec ne doivent pas se plier aux exigences de la langue de travail de la Charte de la langue française. Cependant, ils doivent respecter d’autres aspects de la Charte, tels que l’obligation de produire en français leurs factures, leurs publicités (destinés à un public québécois) et leur site Internet.

Entreprises de compétences fédérales et normes du travail

Il faut savoir qu’au Canada, il existe des compétences de juridiction fédérale et d’autres de juridiction provinciale. Les entreprises et institutions sous réglementation fédérale sont réglementées par le Code canadien du travail plutôt que par les normes de travail provinciales.

C’est pourquoi le salaire minimum n’est pas le même entre une entreprise sous juridiction fédérale (15$/h, le 10 février 2022) et une entreprise sous juridiction provinciale (13,50$/h, le 10 février 2022), même si les deux entreprises se trouvent au Québec.

Voici les secteurs d’activité qui sont de juridiction fédérale. Pour une liste détaillée, voir le site officiel du gouvernement du Canada (lien) :

  • Banques;
  • Communications (radiodiffusion, télédiffusion, réseaux de téléphone, d’Internet, etc.)
  • Services postaux et messagerie;
  • Transport interprovincial et international (routier, aérien, aéronautique, ferroviaire, maritime et par pipeline;
  • Ministères et organismes fédéraux;
  • Le Parlement;
  • Administration d’un conseil de bande indienne;
  • Élévateurs à grains, meuneries et minoteries;
  • L’extraction et la transformation de l’uranium;
  • L’industrie d’énergie nucléaire.